mercredi 21 octobre 2009

L'odorat, une création du cerveau

Entre dégustateurs, débutants comme confirmés, s'il est facile de s'entendre sur la couleur d'un vin, c'est une autre histoire que de tomber d'accord sur les arômes qu'il recèle.
En effet, bien que deux personnes ne voient pas exactement les couleurs de la même façon, celles-ci parviennent tout de même à un consensus au sujet de la robe d'un vin. Mais s'il est un domaine où la subjectivité est de mise, c'est bien l'olfaction, tant ce sens diffère d'un individu à l'autre: il varie en sensibilité et en capacité, et est influencé par le vécu personnel, l'ambiance, voire le prix de la bouteille.
En matière d'olfaction, "il n'existe pas d'observateur standard", selon Patrick Mac Leod, grand spécialiste de l'olfaction. On peut, sans mentir, aller jusqu'à dire que le goût n'est pas dans le vin, mais plutôt dans la tête.

En fait, la perception des odeurs est rendue possible grâce à la muqueuse olfactive, petite surface de mucus recouvrant des récepteurs connectés à des neurones, située au fond des cavités nasales.
Seulement, nous ne possédons pas tous le même nombre de récepteurs, loin s'en faut. Il y a 347 gènes codants pour ces derniers, avec un grand nombre de mutations, si bien que sur l'ensemble de l'humanité, il est "impossible [...] de trouver deux personnes identiques sur le plan de l'olfaction", d'après P. Mac Leod.
Cette diversité de densité et de sensibilité des récepteurs de l'olfaction fait que nous percevons les odeurs de façon différente d'un individu à l'autre.
Certains discernent facilement la violette, d'autres ne ressentent pas le goût de bouchon, par exemple. Et les seuils de détection, pour une odeur donnée, peuvent varier d'un facteur 1000.
La diversité génétique concerne aussi les récepteurs gustatifs, dans la cavité buccale (sensibilité au sucré, salé, acide, amer, et umami).

Toutefois, les experts en dégustation ne sont pas pour autant des chanceux possédant plus de récepteurs que la moyenne: ils ont plus conscience de leur propre perception, de ses défauts et faiblesses et s'entraînent régulièrement, ce qui améliore le seuil de détection d'une odeur "d'un facteur 4, 5 ou 6 en une dizaine de séances". Car plus on est confronté à une odeur, plus on est habile à la repérer.

    Les professionnels de la dégustation ne sont pas exempts de subjectivité, fusse-t-elle inconsciente, comme l'ont démontré Frédéric Brochet et Gil Morrot à l'aide d'un logiciel d'analyse lexical. "[...] très vite intervenaient des données de nature hédonique, j'aime ou je n'aime pas" explique Gil Morrot.

C'est donc notre cerveau, grâce à sa puissance de traitement, qui fait la différence. Mais il est, au même titre que la génétique, également à l'origine d'autres différences de perception: il compile des informations issues de la vue, du toucher, du contexte (l'ambiance), de la mémoire, etc.
Les associations d'informations font que les odeurs sont systématiquement décrites avec des objets, et dans le cas du vin, souvent des fruits: par exemple, cassis, framboise, prune ou mûre pour le vin rouge, poire, noisette ou miel pour le blanc.
"Il n'y a pas d'odeur dans la nature. L'odeur est une création du cerveau", assène Gilles Sicard, olfactologue.
Pour s'en rendre compte, il suffit de constater à quel point il n'est pas évident de trouver la couleur d'un vin par l'odorat, sans l'aide de la vue...

    Les deux scientifiques ont voulu démontrer l'influence de la couleur sur la perception des odeurs. Ils ont pour cela fait passer des tests à 54 étudiants en œnologie, notamment en leur demandant d'apprécier un vin blanc et un vin rouge, sans qu'ils sachent que le rouge était en fait le même vin blanc, mais coloré: tout à coup, ces vins pourtant indiscernables avaient des odeurs très différentes.
    Autre test: les étudiants ont noté plus sévèrement un vin de table, proposé à 15 jours d'intervalle d'un autre vin présenté comme grand cru, sans savoir que c'était le même vin!

Ce manque de fiabilité fait se demander si la dégustation sert encore à quelque chose... Pourquoi ne pas demander aux machines de trancher? Parce que pour l'instant, un nez électronique est encore 1000 fois moins sensible qu'un nez humain, et, là où ce dernier décelle des odeurs, la machine, elle, ne sait pas sentir et se borne à dresser une liste des composants bien peu poétique...

Source: Marie-Christine Merat. Nous sommes tous des daltoniens du goût. Science & Vie Question-Réponses n°3H - La science du vin. Septembre 2009.

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Clin d'œil sur le vin